De son enfance à Hyères, dans le sud de la France où elle est née en 1983, à son carré dessiné pour la maison Hermès en 2020, en passant par sa première exposition au salon de Montrouge en 2014, l’artiste pluridisciplinaire Emeline Piot a développé sa technique. A mi-chemin entre traditions et modernité, mode et recherche d’éternité. Ses dessins sur crâne sont aussi délicats que ceux qu’elle réalise sur papier. Un message à contre-courant de l’art conceptuel et d’un marché qui se standardise, dans une recherche constante du beau et de la justesse, voire de la justice. Rencontre.
Quel est votre parcours ?
Après avoir préparé l’école de photo d’Arles, j’ai découvert le design, qui m’a amené à rejoindre Paris. Suite à mon année de prépa, j’ai intégré l’ENSAD de Reims, puis j’ai fait une dernière année en école de stylisme à Paris, pour comprendre le textile, dans le cadre de mon travail sur la notion du fil. Après un stage chez un créateur, j’ai été embauchée chez Condé Nast international. Au sein de ce vaisseau amiral de la presse mode, j’ai eu l’opportunité de travailler pour les éditions italienne, espagnole et allemande. Puis je me suis lancée en styliste freelance pour des magazines internationaux principalement, des publicités et des artistes. Ah et j’oubliais, j’ai aussi fait de la direction artistique pour des marques et agent pub pour un footballeur international !
Comment trouviez-vous du temps pour votre art ?
En parallèle de tout ça, j’ai développé une pratique artistique qui a évolué au fil des années. J’ai exposé pour la première fois au salon de Montrouge en 2014. S’en sont suivies des expositions en France et à l’étranger, ainsi que des collaborations avec des marques telles que Hermès, Mathon…
Quel est votre processus créatif ?
La première chose notable je pense, c’est que je ne fais jamais de croquis au préalable. Pour moi, l’histoire ne peut pas être écrite dans son entièreté en avance. Aussi, je suis comme un buvard, je pars du principe que l’oubli n’existe pas. Tout ce que nous voyons, entendons, lisons, reste dans notre mémoire, quelque part. Enfoui dans un tiroir. En général, un élément (ex : un oiseau, une tête de lion...) s’invite dans mon esprit et ne me lâche pas, tant que je ne l’ai pas posé sur le papier.
Emeline PIOT - CINQC, 2015 - Acrylique et staedtler sur toile
Ma méthode est plurielle. Je cherche parfois à me mettre dans une sorte de transe - sans utiliser de substance illicite - mais plus en écoutant de la musique électronique ! Elle me met dans un état second et cela me permet d’ouvrir les tiroirs. Ensuite, je laisse la main glisser sur le papier et réaliser l’œuvre, comme une écriture semi-automatique. Aussi, lorsque je travaille, j’occupe mon esprit en écoutant des débats, des émissions à la radio, sur mon ordinateur …
Comment définir votre technique ?
Jeune, je dessinais au stylo bic et mes œuvres figuratives étaient composées de milliers de fils entremêlés. Ma technique, que j’ai nommée “dentelle libre”, puise ses origines dans mes études en école de design. J’ai découvert la dentelle, dont j’ai gardé l’idée du point (le tout) et du fil (en référence au fil d’Ariane). Dans mon travail, tous les éléments sont reliés, le vide n’existe pas. Mes thèmes de prédilection sont le végétal, l’animal et les mythologies anciennes, contemporaines et futures. Il n’y a jamais de présence humaine car je ne crois pas à l’anthropocentrisme.
Quel est votre avis sur le marché de l’art actuel ? Vous offre-t-il des opportunités ?
Je nage à contre-courant d’un art conceptuel qui est prédominant. La notion du beau et l’émotion se perdent au profit du concept. Je sens qu’il y a actuellement peu de place pour les autodidactes comme moi, à une époque où l’on forme des artistes dans les écoles, pour qu’ils entretiennent ce système.
Aussi, cet art conceptuel nécessite que l’on conserve le texte d’explication pour sa compréhension. Imaginez que l’on perde l’explication… Ce serait un peu comme perdre la notice d’un l’objet usuel ! Il n’y plus aucune utilité à le garder alors autant le jeter puisqu’il n’a même pas de valeur esthétique…De plus, l’art est devenu un investissement donc le but des collectionneurs c’est qu’il ne disparaisse pas.
Quels sont les artistes qui vous inspirent ?
Qui m’inspirent pour mon travail aucun mais je suis sensible aux courants des arts déco, de l’orientalisme et j’aime les sculpteurs italiens du 19e , le travail de Kandinsky, hundertwasser, Gaudi, Robillard, Pour le coup j’adore Soulage et Rothko !! J’adore aussi Philip-Lorca Di Corcia et par conséquent Edward Hopper.
Pouvez-vous décrire une œuvre ou une série de votre œuvre qui, selon vous, a été déterminante dans votre carrière ?
Le tableau « Arkhé », qui m’a demandé 6 mois de travail à raison de 12h minimum par jour non stop d’abnégation ! Il m’a ensuite inspiré pour dessiner la collection de joaillerie dont la confection des pièces a été réalisée par la maison Mathon. Ce travail m’a fait prendre conscience que je pouvais encore aller plus loin. C’est challengeant, en tant qu’artiste, de ne jamais atteindre ses limites !
Comment le fait d'être une femme a-t-il influencé, affecté votre carrière ?
Comme dans la mode, le sport... L’art n‘échappe pas au fait que les gens s’inventent des légendes pour justifier l’essor de leur carrière. C’est un fait que l’art fait la part belle aux hommes, bien que certaines femmes artistes émergent. Certaines d’entre elles ont le soutien d’époux, de famille ou de mécène qui leur apporte une aisance financière et les connections nécessaires pour le développement de leur carrière.
Mais même ce propos est à nuancer, car cet entourage bienveillant est une arme dont certaine femme sont démunies. Elles se retrouvent face à des collectionneurs qui en veulent plus à leur charme qu’à leur travail. Pour ma part, sans prétention, ça ne m’est que trop arrivé ! De plus, en tant que femme métisse je dois avouer que cela a tendance a décrédibiliser mon travail. Non seulement les gens y voient un certain exotisme, qui n’est pas du tout ma démarche.
Avez-vous une anecdote à nous partager à ce sujet ?
Une galerie assez connue cherchait à promouvoir l'art africain : je n’étais pas assez noire ! Ce n’est pas du misérabilisme, mais une réalité que l’on se garde bien d’exposer. Il est pourtant nécessaire d’en parler, si l’on veut changer les rapports entre les êtres et l’art. Arrêtons de faire preuve d’angélisme !
Qu'est-ce qui fait un grand artiste ?
Quand son art est universel, intemporel et que l’artiste lui-même disparaît derrière son travail.
Qu'est-ce qui vous passionne (à part l'art) ?
Je suis une férue de sciences. J’aime beaucoup les sports mécaniques, notamment les « Motogp » (grands prix moto). J’aime les sports de glisse (même si je ne suis pas très douée, ça me passionne de voir des gens exceller dans ce domaine). J’adore les avions de chasse, aussi (les seigneurs des airs). La poésie, la nature… Tout me passionne, à partir du moment où, en étant active, j’ai la sensation d’apprendre quelque chose et que cela provoque une réelle émotion.
Sur quel projet travaillez-vous en ce moment ?
Je termine la deuxième relecture d’un livre commencé durant le second confinement, et d’autres projets que je ne peux pas encore dévoiler...
Interview : Albane Chauvac Liao